PARIS: POUR UN PANORAMA DU DEVELOPPEMENT URBAIN
Camilla BevilacquaLe Panorama de Paris ici présenté décrit une étendue bien plus importante qu’un simple tour
de périphérique.
Tout en s’inscrivant, pour sa rigueur formelle, dans le sillage de l’école documentaire
italienne de Basilico et Niedmayer, Luca Nicolao trace ici un voyage temporel dans la
capitale qui n’est pas sans rappeler le fameux vers de Baudelaire : « la forme d'une ville
change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel »1.
Plus que d’une géographie de la ville, nous y verrions donc plutôt une description
archéologique de son présent, ainsi qu’une image de son avenir. Or, l’habilité du photographe
est de minimiser cette étendue temporelle dans un flux presque imperceptible, si semblable à
notre attention inégale, passive et dispersive.
Nous commençons en quelque sorte par un passé proche, avec les barres d’immeubles en
bordure du périphérique des années ‘50 - constructions désavouées que l’extension de Paris
voudrait détruire, transformer, oublier. On ressent beaucoup d’intimité dans le regard de
Nicolao envers ces seuils de la ville et les vies qui y circulent. « C’est un bruit de fond, une
perception distraite, une expérience esthétique instable, anesthésiante. C’est la bande visuelle
de nos existences » dit-il en arpenteur de l’urbain, oeil qui se fond dans l’anonymat du
paysage.
Nicolao guette la surprise pour mieux saisir l’ordinaire : des visages en chemin, un
mouvement incessant, indifférent à la monumentalité qui l’entoure. Le champs contre champs
transforme ici la valeur des échelles : de ces grilles verticales et monochromes on passe à
l’expérience esthétique du passant, fait d’une horizontalité grouillante de bruits, odeurs,
regards croisés, trajets ininterrompus.
Puis, par un glissement presque anodin, nous changeons de paradigme, les immeubles
haussmanniens traçant la voie jusqu’au centre historique et son présent continuel, figé dans
son spectacle qui se réitère jour après jour. Dans ces sites où le tourisme de masse a investi
chaque parcelle de la ville l’ironie du photographe devient alors plus perceptible et la
confusion entre reflet et réalité presque palpable. Concorde, Tuileries, Tour Eiffel…l’auteur
se prend aussi à ce jeu autoréférentiel, sans pourtant jamais quitter sa rigueur documentaire,
aussi impitoyable envers son sujet qu’envers nous qui le regardons avec incrédulité et
émerveillement. Es ce bien cela Paris ?
Encore plus que cela. Un arrêt de métro plus tard, et nous voilà dans son futur. Bâtis sur les
ruines du passé, les nouveaux éco quartiers sont les paradigmes d’une réalité dessinée sur
écran. Les gestes, les attitudes des gens répondent en tout point à ce programme visuel,
comme si vraiment l’architecture pouvait à elle seule disposer de nos corps, les agencer
ensemble, fonder une communauté à partir d’individus.
C’est sur sa fin que la série prend une allure presque philosophique, prophétique du sens que
Walter Benjamin donnait à l’architecture, comme image présente des projections du demain,
rêve ou cauchemar devenu matière et que seul l’oeil mécanique de la photographie est capable
de restituer à nous les humains, les passants, les hommes et femmes distraits des villes
contemporaines.
1 C. Baudelaire, « Le cygne » dans Les Fleurs du mal 1857
Paris, 30 Novembre 2018